Le parcours
en compagnie de Jules Ernest Firmin « vachièr » (vacher) à "Ma montagne"
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"Je m'appelle Jules Ernest Firmin, je suis le 3ème d'une famille de 8 enfants. Dès que j'ai eu 6 ans mes parents m’ont "loué" comme berger dans la ferme de la vallée contre un peu de beurre, de fromage et de bois pour se chauffer. Mon travail consistait à « garder les vaches » comme on dit chez nous, c'est-à-dire à les empêcher de dépasser une ligne imaginaire qui était décidée par le fermier. Il n'y avait pas de clôture dans le temps. L'après-midi je devais ramener les vaches à l'étable pour la traite et les reconduire au pré ensuite. Quand j'ai eu 11 ans j'ai été engagé comme « pâtre » dans un groupe de 3 personnes qui devait amener le troupeau de vaches Salers à la montagne et travailler 4 mois dans un buron. C'était le début de ma carrière de buronnier. J'en ai franchi toutes les étapes : de pâtre je suis passé valet puis vacher. C'était la consécration devenir aide Vacher puis vacher "patron de la montagne".
1. je me retrouve avec vous dans le village devant cette claie en ferraille. C'était l'idée d'une artiste ces claies métallique. Pardi elles résisteront mieux que si elles avaient été en bois et puis moi je les trouve belles comme ça toute blanches. Ils les ont installés pour nous rendre hommage qu'ils ont dit. On y a « trimé » dans les montagnes. Ces bottes, ces outils me rappellent beaucoup de souvenirs la lampe à pétrole, l’atraçador, la frenhau...
2. Voilà 2 claies qui rappellent le parc que je déplaçais tous les jours. Le troupeau était parqué matin et soir pour la traite. Le parc était constitué de claies, de barrières faites de 4 planches horizontales encastrées dans 2 montants en bois.
Ce parc il fallait le déplacer presque tous les jours et ça c'était mon travail. C'était très lourd pour un petit bonhomme de 11 ans. Combien de fois j'ai pleuré seul avec mes claies en pensant à ma maison.
Ces 2 claies sont les seules qui ressemblent à celles que je portais. Ce chemin c'est celui que les troupeaux suivaient pour rejoindre la montagne.
3. Voilà une autre claie : celle-là est toute seule, un peu comme moi, le pâtre, le petit berger. Qui se préoccupait du petit pâtre avec son chien, son bâton et son harmonica, à 11 ans on a envie de jouer comme tous les enfants et moi qui faisais déjà un travail d'homme. De temps en temps, en cachette, je jouais. Je jouais avec mon seul compagnon, mon Perlou, mon complice.
4. Je suis resté berger jusqu'à l'âge de 16 ans et j'ai grimpé les échelons. Aide vacher jusqu'à 18 ans j'ai appris à fabriquer le fromage grâce à mon vacher qui m'a enseigné le métier et quand celui-ci a pris sa retraite je lui ai naturellement succédé. J'avais 18 ans et je n'étais pas peu fier, j'étais devenu le patron de la montagne celui qui pouvait dire au propriétaire lui-même : « ici c'est moi le patron » en fermant la claie d'entrée à la montagne.
5. J'ai été le dernier buronnier des plateaux de Pailherols. Cette montagne à droite avec les genêts et les genévriers, ces odeurs et ces montagnes à perte de vue, son buron « moderne » excusez-moi mais moi ça me travaille. J'y ai trimé 20 ans et j'en suis parti à 70 ans. Ce buron a été le dernier de la région, le dernier où 3 hommes ont fabriqué du Cantal jusque vers l'an 2000.
6. On est monté. On a la vue au soleil couchant vers le plateau du Coyan.
Un peu plus vers le nord, dans la forêt, sur la rive droite du Goul il y a des restes de la vieille ferme de Troncule.
Ici on écoutait les bruits du concasseur de Curebourse près du rocher ou la légende dit qu'on pendait les condamnés à mort, où celui du train qui montait dans la vallée de Vic en direction de Clermont. Quand on les entendait on savait qu'il allait pleuvoir il fallait se préparer et surtout craindre un orage pendant la traite. Les bêtes aussi ça les effrayait.
7. J'ai été longtemps vacher dans cette montagne et si j'en suis parti ce n'est pas parce que je ne m'y plaisais plus ou que le patron n'était pas content de moi non ! Dans cette montagne de Puechmouriez, pour la première fois de ma vie j'ai fermé un buron. L’estive était finie il ne monterait plus personne dans ce « masuc ».
8. En voilà une des claies qui a son utilité. Ouvrir ou fermer un passage ou à clôturer un parc. Elles sont rares, la plupart ont été mises là pour faire penser à nous les pâtres et au travail que ça représentait que de porter ces clés. C'était une idée de l'artiste de représenter les barrières comme ça, moi aussi ça m'a surpris sur le moment, faut dire que jusque-là personne ne parlait de nous de notre travail et c'était dur.
9. Celle-ci de claie, ils l'ont mise auprès du bois. Vous trouvez ça bizarre non ! Moi je connais la raison. Le bois c'était vital pour nous si vous visitez un buron vous remarquerez une cheminée près de la porte d'entrée ce n'était pas pour se chauffer il fallait laisser la porte ouverte sinon on aurait été enfumés comme des renards. Elle servait à faire la cuisine, nous n'avions pas de camping-gaz à l'époque et quand arrivait le mois d'août, par exemple, et que les nuits étaient longues et souvent fraîches le lait était trop froid pour cailler on mettait la gerle prés du feu pour porter le lait à température.
10. D'ici en domine, on voit l'immensité des montagnes. Mais on ne voit plus tous les hommes qui travaillaient là, vachers « botilhiers,» pâtres. Il paraît qu'il y avait un millier de burons sur tout le Cantal. Oui c'est ça on était au moins 3000 à vivre dans ces montagnes pendant plus de 4 mois sans compter les gens dans les fermes, bouviers, saisonnier, bonnes. Les familles étaient nombreuses à l'époque.
11. Ici c'était un peu la frontière entre les Salers et les Aubracs, entre les vaches qui partaient dans les montagnes vaches rouges et vaches jaunes. 2 races montagnardes comme nous, c'est peut-être pour ça que l'artiste a mis 2 claies ici. Aux foires de Lacapelle-Barrès tout à côté, on trouvait autant d'Aubracs que de Salers. Ces races il faut que je vous dise, elles sont un peu comme nous, elles ont bien failli disparaître.
12. On approche du parc on a une vue extraordinaire sur le plateau et sur l'Aubrac. Là-bas, quand ils ont décidé de produire leur fromage ils n'avaient pas de personnel capable de le fabriquer ils ont fait appel aux compétences des vachers du Cantal.
Mon frère est parti fromager dans un bureau d'Aubrac ils ont aussi le fameux couteau. Moi aussi j'ai un couteau, toujours le même celui que m'a offert mon parrain pour mes 11 ans quand j'ai été embauché comme berger pour partir en estive. « Donne-moi une pièce » m'a-t-il dit. Sans trop comprendre je lui ai donné 0,10€ qui traînaient dans ma poche avec un peu de regret et ça me faisait 10 bonbons de moins. Alors il m'a présenté un magnifique couteau d'Aurillac en me disant : « tiens voilà un outil qui t'est indispensable maintenant que tu es devenu grand ». Ce couteau je le sens encore dans ma poche.
13. Nous voici arrivés au parc des claies on croirait le monde à l'envers ici ce sont les claies qu'on a parquées. Elles sont aussi sages que des vaches dans le parc. Chacune est différente on pourrait même leur donner un nom comme avant pour les vaches. L'artiste Camille Henrot a voulu rendre hommage à nous tous buronnier qui avons peuplé ces montagnes qui les avons façonnées pour qu'elles vous disent « souviens-toi d’eux ».
Elles sont blanches peut-être pour qu'elles disparaissent l'hiver comme nous, nous avions disparu de nos montagnes à la morte-saison.
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